Lao Design #30 / Les ponts de singes des fourmis

Lao Design #30 / Pour cette armoire de cuisine, j'ai fait une infidélité au bois. Il est vrai que l'objet est beau, plus beau que son équivalent imaginaire ou ce qui s'en rapprocherait en Occident, notamment en France, qui est mon terrain de formation, je veux parler de l'armoire de cuisine en Formica. Cette dernière est franchement laide et, même si la franchise est une qualité, il faut beaucoup d'arrangements avec la post-modernité et autres balivernes esthétiques pour s'entêter et finir par en trouver une jolie chez un antiquaire, à condition d'y mettre le prix.

L'armoire de cuisine du Laos, zone qu'il convient d'étendre à l'Asie du sud-est dans sa plus grande approximation, en y intégrant la Chine, donc, est belle par sa finesse et sa légèreté quand le Formica optait pour le lourd comme gage de qualité, le brillant comme gage de propreté... Pour un siècle à deux guerres mondiales, ça peut passer. D'ailleurs, c'est passé.

L'armoire de cuisine "locale" accentue sa finesse en étant vitrée. Cela change beaucoup de choses. D'un point de vue pratique, certes, puisqu'on sait immédiatement quelle porte ouvrir. Surtout, la transparence ne titille pas la pensée comme le fait l'opacité, et n'arrête pas la lumière, ce qui est dans sa nature, de sorte que, dans sa phénoménologie, le meuble vitré arbore les couleurs de ce qu'il contient, et ces couleurs changent de place au gré des manipulations des objets. On profite ainsi du rose nacré de la panière en plastique et du bleu turquoise de la panière en plastoque.

J'aurais encore beaucoup à dire sur cette armoire de cuisine, mais je veux en venir maintenant au sujet principal, que j'avais abordé dans ma publication précédente de la page Lao Design, à savoir les stratégies de guérilla contre l'invasion des fourmis. Or, si mettre les coupelles d'eau aux pieds de l'armoire a fonctionné, ce fut provisoire, le temps que les insectes trouvent une autre voie d'accès.

J'ai vanté assez les avantages de la légèreté pour passer sous silence son défaut principal qui est, pour une armoire, d'exiger d'être ancrée à du solide pour ne pas basculer en avant quand on tire sur une de ses portes qui tiennent fermées avec des aimants, un point commun avec l'armoire en Formica. Le mari de Mèe Ban l'a donc fixée à la rampe de l'escalier avec une grosse ficelle. Il n'en fallait pas plus pour que les fourmis en fassent deux ponts de singes, un de chaque côté. Le problème est sans solution, sauf à lester le bas de l'armoire avec les objets les plus lourds pour contrecarrer sa légèreté et ne pas être obligé de la fixer à la rampe de l'escalier.

Il n'a pas fallu trente minutes pour que les fourmis atteignent le bol de nam vaan, un dessert dont elles raffolent autant que les enfants, puis le bol de jèo, une sorte d'écrasée d'aubergines, de citronnelle, d'oignons et d'ail grillés, avec beaucoup de piments et un peu de padèk (poisson fermenté dans son jus). Dans ce Dien Bien Phu domestique, Mèe Ban, avec l'aide de ma belle-soeur, a trouvé une parade : à l'intérieur de l'armoire, le bol de jèo est posé dans une assiette contenant de l'eau (on le voit difficilement sur la photo parce que l'eau est transparente). Un conseil de guerre se tient déjà pour penser les stratégies de lutte contre les fourmis volantes

 

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