Kiyé's Garden / Courges sous la mitraille

Comme je l'ai déjà avoué, l'impatience m'avait précipité à faire, sitôt tombé de l'avion, des semis en pleine saison des pluies, et, aussitôt les semis levés, à les planter dans le jardin, dans une butte de compost à froid qui n'est pas davantage prête. Mais, Candide en son jardin, on parlera de protocole expérimental qui n'a pas tardé à livrer ses conclusions. Les premières observations étaient, à vrai dire, alarmistes. Et, fataliste, on ne prêtait guère de chance à nos jeunes pousses. Elles étaient bien plus petites que ce matin, 8 de août de l'an 2023, date des photos ci-dessus. Tous les jardiniers savent que trois petites feuilles, dont une minuscule, ne suffisent pas à mériter le nom de plant. Les planter en terre revient à abandonner dans la rue des chiots non sevrés. Au troisième jour, on retrouve un "plant" sectionné par quelque mandibule de quelque insecte qui a trouvé refuge dans ma butte. Première victime. Les autres allaient tomber les uns après les autres, pensait-on. Le prédateur fut vite identifié. Insecte volant de la taille et de la forme d'une coccinelle, sans point, de couleur caramel. Il se régale des feuilles de courge musquée et de potimarron venus de France, mets exotiques pour lui. Le jardinier qui aime ses plantes plus que la cause animale devient chasseur-tapeur d'insecte indésiré. Combat perdu d'avance. Mè Ban, qui habite avec son mari dans la deuxième maison sur pilotis (je ne suis donc pas seul chez moi, sujet qui sera développé au fil de ces chroniques... patience) me suggère de mettre sur les plantes un produit anti-insectes. Je lui fis comprendre qu'il en était hors de question. Peut-être aurais-je dû prêter oreille à son idée, car je ne parle pas assez bien la langue lao pour savoir si elle pensait à un produit chimique ou à un remède de grand-mère sans danger. La discussion en resta là, et je dus faire bonne figure devant Mè ban qui souriait sous cape en secouant la tête sans prendre la peine de montrer quelque empathie.

La situation se dégradait joliment. Néanmoins, nos prédateurs laissaient tranquilles les haricots beurre et les haricots nains de France, ainsi que les haricots serpents et les concombres amers du Laos... Et si ma butte de compost à froid n'est pas prête, les plantes poussent pourtant dedans sans signe de mauvaise acclimatation ou d'indigestion. Je repris espoir d'autant plus que mes cucurbitacées, dont les jours semblaient comptés, n'étaient toujours pas morts après deux semaines au front sous la mitraille. À chaque feuille mangée, en poussait une autre. Et voici la conclusion qui soulage tout le monde : les feuilles poussent et grandissent plus vite qu'elles ne sont mangées. Je vous le dis solennellement, elles seront bientôt sorties d'affaire. Vive la courge de France qui ne succombera pas en Indochine mais sera mangée par Mè Ban, son mari et moi avec force piments, nioc mam, pousses de bambou et riz gluant !

 

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