Kiyé's Garden / Chez ma sœur Pok

 

Ma sœur Pok a les pieds sur terre, on pourrait même dire dans la terre, et dans l'eau des rizières, des pluies d'été et des bassins dans lesquels elle élève des poissons et fait pousser des plantes. Ses chaussures chics sont des sabots en plastique, des bottes en caoutchouc, des pantoufles amphibies ou, cela va de soi, des tongs de fausses marques chinoises, du genre Yves Sans Laurent. On entre chez elle en empruntant sur cent-cinquante mètres une allée magnifique bordée de manguiers. Une meute de chiens vous accueille dans un concert de klaxons. Dans cette vdo #06 de Kiyé's Garden, attrapé et monté avec mon smartphone, on découvre un petit bout de sa ferme. Sous-titrer ce qu'on se dit serait tricher sur le fait que l'une et l'autre sont sans cesse en train d'essayer de se comprendre en parlant deux niveaux différents de la langue lao. Quand j'essaie de dire et de comprendre avec peu de mots, elle essaie en retour de dire et de comprendre avec peu de mots. Cela semble être la même chose, mais ce n'est pas le cas. Car le peu pour moi est un maximum, et pour elle un minimum. Voici l'essentiel. La première séquence montre comment ses poissons adultes sont nourris avec des salades et des choux récupérés au marché, tandis que les plus petits sont nourris avec une plante aquatique dont elle fait culture, en complément de granules. Dans la deuxième séquence, je découvre comment poussent les fruits du dragon, sur une plante qui ressemble à un cactus dont les fleurs sont aussi belles que sont beaux les fruits. Par tâtonnements, non en suivant la mode, elle est arrivée à une pratique bio qu'elle désigne, comme tous les Laotiens, par le mot anglais organic, prononcé orkanik. Par pragmatisme aussi : les granules pour les poissons, c'est cher ; les invendus et les chutes de salades et de choux du marché, c'est gratuit ! Comme chaque fois que je vais chez elle, je prends des notes ; telle est également la fonction de mes vidéos. Avec ce balancement du médium vidéo entre la précision et une manière de rêverie, comme si ce qui se racontait et se mémorisait du réel ouvrait sur un ailleurs en perpétuelle invention. La découverte du fruit du dragon flamboyant sur un cactus ni beau ni laid a confiné à quelque poésie fantastique.

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