"Gabrielle" ou le printemps de l'amour
Dans le débat de société en cours (les nouvelles formes de parentalité issues des nouvelles formes de vie commune issues des nouvelles formes de sexualité...) Agnès Vannouvong n'a de cesse d'inscrire sa parole dans le champ du désir. Son deuxième roman, Gabrielle, scelle le mariage entre les plaisirs charnels et les vertiges de la pensée déjà à l’œuvre dans son premier roman, Après l'amour. C'est la raison pour laquelle elle ne sera pas entendue par les tenants de l'ordre établi pour qui la crainte du mal fait office de pensée et de loi et ferme à double tour l'idée de la cellule familiale.
Au fil des pages de Gabrielle, la gravité du propos s'abandonne à la musicalité des mots. Course d'amour éperdue contre le temps, contre l'époque, contre les conventions des amours ordinaires, contre la violence des discours dominants. Et surtout — là réside le romanesque de la prose d'Agnès Vannouvong — contre l'ennui. "Je voulais que ce soit le printemps tous les jours". De fait, il n'y a jamais dans la vie de Gabrielle un hiver de l'amour, ni dans la vie des autres personnages du livre. Quand l'histoire, forcément d'amour, patine, c'est à très grande vitesse qu'elle fait du surplace, jusqu'à sa désintégration instantanée quand il faut appliquer les valeurs réelles des forces qui s'exercent. Mais Gabrielle est dure au mal et prête à tout pour une caresse, un baiser, une respiration. Aimer, c'est sa grande affaire : aimer l'autre, aimer l'amour, aimer parler d'amour, aimer faire l'amour. Aussi, vouloir faire un enfant avec une autre femme, projet raisonnable pour toute autre personne, homme ou femme, au virage de la trentaine et de la quarantaine, devient pour elle qui aime les elles une aventure existentielle consistant ni plus ni moins qu'à tout réinventer des repères de sa vie.
Agnès Vannouvong a la sincérité de vivre avec les personnages qu'elle invente comme Pina Bausch vivait avec les danseurs de sa compagnie. Ceux d'Après l'amour reviennent donc dans Gabrielle avec d'autres prénoms, d'autres métiers, un bon bagage culturel, des corps désirables et une ouverture d'esprit propres à donner la mesure de la force des courants contraires : la beauté, l'intelligence, le charme, rien de tout cela ne garantit une immunité contre les agressions de la bien-pensance, ni de succomber soi-même par amour dans les pièges de l'amour. Alors, oui, le livre est dans le même mouvement triste et joyeux, naïf et lucide, baignant sa violence dans une infinie douceur.
Une allusion à la culture bouddhiste de Gabrielle est le seul renvoi aux origines asiatiques de l'auteur. Mais l'exil est présent dans chacune des pages de ce livre de la disparition, de la renaissance et du recommencement.
Gabrielle, Agnès Vannouvong, roman, Mercure de France
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