Le concombre, ah, Mère...
La rapidité du haricot serpent à pousser et courir a fait de lui le protagoniste principal de mes publications récentes. Or, dans sa proximité immédiate, une intimité biotopique, voire existentielle, semé dans le même sol et le même instant, une graine de l'un, une graine de l'autre, en alternance, donc, il y a son alter sans ego. Incontestablement cucurbitacée, d'une aptitude naturelle à la grimpette, d'un feuillage abondant, capteur solaire de haute performance, vous avez reconnu le concombre amer... je blague, une fois est coutume, comme vous le savez. La fleur est jaune, moutarde, petite, mignonne, adorable. Peu sujet aux attaques des insectes, des champignons, des parasites de tout poil, pour ce que j'ai pu observer, à peine semé, vite émancipé de la fatalité de l'organisme végétal (le surplace), le voilà qui galope dessus le tuteur, hussard sur le toit. Figure héroïque, assurément. Même si dans la Belle et la Bête, il serait la Bête. À cause de sa peau de crapaud, dont on conviendra qu'elle présente l'avantage de le rendre facile à reconnaître, même bébé. Et aussi, je regrette d'avoir à le dire, et le redire, puisqu'inscrit dans son nom, son amertume. Non pas la subtile note d'amertume de la noix de noyau d'abricot qu'on peut trouver dans un Condrieu de noble naissance, mais une de ces amertumes qui font grimacer et crier beurk, et font dire aux jeunes d'aujourd'hui what the fuck ?!!! Évidemment, j'exclus les jeunes Laotiens qui connaissent l'amer autant que leur mère depuis leur plus tendre enfance. Cette mise en relation de l'amer et du tendre, je me permets de le souligner, est à considérer avec le plus grand sérieux.
Le concombre amer, croyez-le ou non, n'est qu'une parmi de nombreuses autres amertumes de la cuisine lao, de celles que la cuisine française bannirait de sa palette, à si haute intensité. Il s'accorde délicieusement à tous les plats relevés, croqué cru comme un concombre normal, par exemple en accompagnement de salade de viande crue... Et dans ce cas, la force du piment fera oublier l'amer au palais non habitué. Mais en calmant le piment, on appréciera la farandole de saveurs des herbes aromatiques, qui font que la cuisine lao surprend en ce qu'elle accorde autant d'importance aux ornementations qu'au motif principal. Cela est vrai également pour ses musiques et ses temples. Le concombre amer sait néanmoins jouer le premier rôle, en soupe ou farci de viande. Alors, nous ne parlerons plus de note d'amertume mais de célébration de l'amer. Enfin, nous devons préciser que les Asiatiques prêtent à l'amertume des effets bénéfiques pour la santé, règle qu'ils appliquent à tout ce qui est amer, comme autrefois les Français ne juraient que par l'huile de foie de morue, jusqu'à ce que, de guerre lasse, ils finirent par ne plus trouver d'amusement à forcer leurs progénitures à en avaler, encore moins à se forcer eux-mêmes à en avaler en faisant semblant de croire que c'est vital. Cet aparté a seulement pour but de dire à quel point le concombre amer est amer. Heureusement, au Laos, le repas n'est pas constitué d'un plat unique. Il est toujours possible pour chacun de pointer ses baguettes vers les goûts qu'il préfère. Avec le temps, on s'apercevra qu'on aime revenir vers l'amer plus souvent qu'on ne l'aurait imaginé après la première fois.
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