Le mystère de la tomate-mozza


 Vous me trouverez bientôt dans cette maison, au Laos. Vous la reconnaîtrez facilement, seule sur pilotis et en bois comme autrefois quand toutes les autres sont de plain-pied et en dur. La maison à gauche, également sur pilotis, accueillera les gens qui habiteront avec moi. Outre ce toit, ils auront un travail, celui de cultiver des légumes sur le terrain. J'ai envie de faire pousser dans mon jardin des tomates de France, comme il n'en existe pas au Laos, plantureuses, juteuses et sucrées. Les Laotiens aiment la tomate acide, écrasée au pilon dans la salade de papaye, avec force piments et padèk, le jus de poisson fermenté, ou bien encore jetée dans le bouillon pour lui donner des angles, nuance d'acidité douce ajoutée aux acides vifs du tamarin et du citron. La salade de tomate française, ou italienne, serait trop mystérieuse pour eux, pour ne pas dire insipide. Je veux cultiver ce mystère, le faire sortir de ma terre natale, de sorte qu'en croquant dans mes tomates, ma famille et mes amis laotiens se rendront compte que la France d'où je reviens est un drôle de pays où les gens se régalent de tomates assaisonnées d'huile d'olive et de sel, rehaussée d'un basilic italien ou provençal qui leur paraîtrait sans intérêt comparé au basilic thaï qui accompagne leur soupe vietnamienne, appelée soupe phö, qu'on prononce "feu" parce que c'est une adaptation du pot au feu des Colons français du temps de l'Indochine. Et puisqu'il est écrit que la boucle sera bouclée (avec plein de boucles), le Laos est le pays des buffles. Cela a donné à des Américaines l'idée de se lancer dans la production de lait de bufflonne près de Luang Prabang— ce que les Laotiens n'ont jamais fait en six mille ans d'élevage —, pour ensuite fabriquer des yaourts, de la crème glacée et de la mozzarella ! Voilà, c'est la chute que je voulais pour mon histoire de tomates françaises et italiennes au Laos...

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