Mangoustan, fruit de l'intime


Chaque journée d'une personne consciente qu'elle connaît moins du monde qu'elle en ignore les mystères devrait commencer par la description du plus beau des fruits, le mangoustan. Exercice qui adoptera la forme d'un poème, d'une nouvelle, d'un essai, d'un poème calligraphié au pinceau, à la plume, à la mine de plomb et avec tout ce qui laisse des traces sur un support quel qu'il soit... De sorte qu'on glissera naturellement vers des exercices de dessin et de peinture proprement dits, parce que l'esprit n'est alerte que si l'œil est vif, la main et le corps sollicités. Bien sûr, toutes les pratiques commencent et se terminent par la dégustation de ces fruits délicieux.

Ce qui, du mangoustan, trouble l'esprit jusqu'à l'intimider, c'est sa beauté extérieure. Une peau épaisse d'un noir sanguin, entre bleu sombre nocturne et subtil incarnat, sphère parfaite couronnée de quatre folioles et d'un pédoncule robustes, on dirait une myrtille de la taille d'une grosse balle de ping-pong. Sa finition n'est pas laquée, comme celle du kaki des estampes japonaises, elle est mate, et cette note de discrétion lui confère l'élégance des êtres qui savent mêler intimement leur être dans leur paraître. Au risque de disparaître dès leur apparition, laissant l'insipide fruit du dragon, le carnavalesque ramboutan ou la plantureuse papaye mûre attraper les regards. 

Néanmoins, mangoustan possède ce que tous les autres fruits n'ont pas : beau en costume, il se révèle au déshabillage d'une beauté plus grande encore. Comme la nuit laisse éclater la splendeur du jour. Sa chair, partagée en six tranches harmonieusement disposées, a la blancheur des dents du petit enfant, le soyeux des pétales d'une rose du matin, l'éclat nacré de l'intérieur d'une coquille d'huître, et son goût ne saurait être comparé à rien d'autre qu'à celui d'un baiser d'amour. Je laisse à chacun de décider après l'avoir goûté, si cela a du sens, et si ce goût rappelle le litchi, le loukoum, la gelée de coing, le beurre frais, la brioche ou un vin blanc de Bourgogne dans son expression la plus accomplie, Meursault, Pulligny-Montrachet, Chassagne-Montrachet. Personnellement, je pencherais pour Meursault. 

Une telle pratique adoptée comme rituel quotidien, on aura tôt fait de se rendre compte que l'objet de son étude ne cesse de changer de nature et de morphologie, et que soi-même de sujet on devient peu à peu objet de sa propre contemplation, incapable de discerner qui du fruit ou du peintre tient le pinceau.

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