Le riz gluant, rituel de la vie heureuse
Mon frère Hé
En France, le riz est sans expression. Au mieux, il est minimal ou minimaliste. Blanc art contemporain, aussi sobre que des salutations distinguées. A la cantine, on le sert avec du poisson pané. Chez l'Oncle Ben, il ne colle jamais. On le cuit en sachet ! Beurre et gruyère sont ses seules extravagances, ce qui fait bien rire les Suisses pour qui le gruyère français est une escroquerie... Le gâteau de riz ? Il vaut bien celui à la semoule. Le riz au lait ? C'est l'exemple même de la recette facile que personne ne réussit à l'exception des grand-mères et des chefs étoilés. Au sud de l'Europe, c'est mieux. J'ai souvenir d'un risotto à l'encre de sèche fabuleux en Italie, d'une paella à Barcelone où le riz prenait ses saveurs à tout le reste (poulet, crevettes, moules, calamars, etc.), de feuilles de vigne (je n'ai jamais été en Grèce) qui fondaient dans la bouche par la grâce du riz... Finalement, le meilleur du riz en France, c'était quand ma grand-mère adoptive me le servait avec une tranche de jambon. Sans mystère mais propre à calmer la faim d'un adolescent.
Au Laos, riz gluant se dit khao niao. Pourquoi les Français l'ont appelé riz gluant ? Parce que les mots leur manquent, parce que leur langue si belle et subtile bute sur ce qui n'existe pas dans leur culture. Ils l'appellent aussi riz glutineux, ce qui n'est guère heureux. Aussi, je veux lui préférer son nom d'origine. Au marché, on ne trouve pas le khao kniao en paquet d'un kilo mais en vrac dans des grandes bassines. On le reconnaît au mat de son blanc, entre l'émail de la dent (de bébé) et la douceur de la farine. A la maison, règne son odeur. Elle couvre celle du nioc mam par sa délicatesse et sa profondeur infinie. Odeur pénétrante qui sait transporter l'âme de chacun vers les âmes des autres.
Le rite commence la nuit... avant d'aller dormir, faire tremper le khao niao. Au lever, avant celui du soleil, allumer un feu de bois dans la cuisine. Poser au-dessus du feu une marmite d'eau. Verser le riz trempé dans un panier vapeur tressé en forme de grand cornet de glace. Poser le panier sur la marmite (dont le col est resserré pour maintenir le panier en suspension au-dessus de l'eau). Laisser cuire à la vapeur et à couvert vingt-cinq minutes après ébullition. A mi-cuisson, renverser le riz (ce qui était en dessous passe au-dessus) pour une cuisson homogène. Quand le riz est cuit, le verser dans un plateau en bois, et l'aérer avec une spatule pour le refroidir et arrêter la cuisson.
Tous les matins, avant l'aube, dans toutes les maisons, le même rituel s'accomplit. Dans les rues, à travers les villes et les villages, l'odeur du khao niao se mêle aux parfums des feux de bois et de la fleur de frangipanier.
je t'ai perdu pendant un temps certain... et un hasard me fait te retrouver et ce texte et bien d'autres "du laos" que je decouvre aujourd'hui ....me transportent quelques 20 ans en arrière et cette odeur de Khao knia est encore en moi inoubliable....merci
RépondreSupprimernous nous sommes rencontres il y a bien longtemps par l'intermediaire de Florence
qu'avez vous publié ces dernieres années
chantal b
Bonjour Chantal, je découvre votre message ce soir, 8 mois après sa publication. Je n'ai pas publié ces dernières années, je consacre mon temps à l'écriture et la réalisation de mes films. Après Ici finit l'exil, j'ai réalisé "Tuk tuk", un moyen métrage fiction diffusé sur Arte. Mon dernier film sortira bientôt en salles, il a pour titre "Goodbye Mister Wong". Ça se passe au Laos... A bientôt, Kiyé
SupprimerMes espaces d'écriture sont ce blog, "l'orient de l'Orient", ainsi que "Limelight" https://kiyesimon.wixsite.com/limelight
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