the day before the day after
dans sa boutique illuminée
il
est minuit bien sonné
la
Chinoise veut du fort
en
guise de rice wine
elle
trouve une vodka
Chinoise
est juste
une
manière de parler
en
réalité elle vient de Taiwan
Hou
hsiao-hsien elle connaît
c'était
un voisin
je
lui parle de Fengkwei
de
ses jolis garçons
elle
raconte l’Italie
et
San Francisco
Murray
est le nom
d’un
mari qu’elle a eu
ce
qu’il est devenu
elle
semble le savoir
mais
change de sujet
à
deux heures du matin
nous
mangeons une soupe
à
la mode de Taipei
les
yeux ensommeillés
j’adore
comme
elle parle
toujours
à travers
mais
jamais à tort
elle
pense que je fais
un
trop grand cas des mots
le
verre à la main
je
dis j’bois pas
la
cigarette aux lèvres
je
dis j’fume pas
tout
ça en anglais
avec
grand sérieux
comment
on est là
chez
moi d’abord
et
chez elle ensuite
parlant
d’une chose
puis
parlant d’une autre ?
je
lui lis du Racine,
la
la la, la la la
et
trois pages de Proust
dont
elle ne comprend rien
elle
lui trouve pourtant
une
belle musique
qu’elle
situe dans les Indes
je
la connais si peu
mon
amie pour la vie
un
amour pour jamais
un
jour c’est certain
loin
de Saint-Gilles
et
loin de Barrière
nous
recommencerons
l’Italie
pourquoi pas ?
ce
pays la rend triste
elle
ne sait pas pourquoi
j’ai
pas dormi chez elle
elle
m’a mis à la porte
des
regrets dans ses yeux
je
me suis réveillé
la
tête pleine de mots
j’ai
traîné sous la douche
pour
m’en débarrasser
puis
j’ai mis mes habits
ils
ne sont pas très nets
suis
sorti dans la rue
les
cheveux tout mouillés
l’esprit
vaporeux
pour
chercher du travail
dimanche
n’est pas un bon jour
le
Verschueren est rempli de gens
qui
ont du temps devant eux
le
café me réchauffe
d’un
froid que j’imagine
il
existe au soir
un
froid du sommeil
comme
il existe au matin
un
froid du réveil
j’épluche
les annonces
parues
dans le Vlan
je
regarde sur mon plan
Bruxelles
dépliée
aller
à Saint-Josse
pour
vendre des sandwiches
ça
me ferait pas peur
mais
pas rire non plus
faudrait
juste que j’m’y fasse
chercher
du travail
c’est
mon seul travail
noter
des numéros
dans
mon journal intime
ça
me donne tout de suite
un
air très sérieux
la
serveuse est sublime
je
dis la pour chacune
ce
matin elles sont trois
serveuse
c’est un genre
comme
Vierge à l’enfant
y’a
pas de spécimen
elles
sont toutes idéales
maintenant
de
nouveau chez moi
j’ai
envie de sortir
ne
sais pas où aller
au
marché, pour quoi faire ?
je
n’ai rien à acheter
mon
frigo ne marche pas
normal,
j’en ai pas
mon
père, lui
avait
une Thermos
il
y mettait son thé
qu’il
buvait tout seul
je
l’ai cassée un jour
l’aîné
m’a fouetté
avec
une queue de raie
ça
a l’air d’une blague
comme
toutes mes histoires
c’était
pourtant simple
il
voulait m’apprendre
la
dure loi de la vie
quelque
chose comme ça
impossible
à dire
je
me souviens du bruit
des
morceaux de verre
petites
miettes de miroir
dans
le corps intact
d'une
bouteille en métal
et
grandissant tout autour
la
flaque jaune de thé :
sang
décoloré
écrire
ou ranger
c’est
exactement pareil
faut
trouver une logique
dans
ce qui n’en a pas
on
pose un truc ici
un
machin là
l’important
c’est
de croire
que
c’est important
et
parfois, oh surprise !
on
retrouve
une
idée
un
objet
un
souvenir
on
crie au miracle
pour
s’encourager
la
tâche est sans fin
la
lumière perd toujours
sur
la poussière qui danse
le
désordre impose
ses
règles en silence
des
images se baladent
parmi
des ombres mortes
des
livres disparaissent
qu’on
ne reverra plus
des
amitiés meurent
sans
vous dire au revoir
on
en veut au destin
on
se bat contre le vent
on
se met à courir
pour
aller au travail
du
travail, ah oui, merde
je
n’en ai toujours pas
pour
me changer les idées
je
suis allé par la ville
faire
quelques photos
c’est
une activité facile
aussi
bête que la pêche
on
marche au hasard
en
sachant où on va
et
surtout sans raison
on
se retourne soudain
ou
bien on s’arrête
en
plein milieu d’une rue
on
suspend ses gestes
on
cache son sourire
on
oublie les voitures
on
respire lentement
il
n’y a rien à prendre
on
a l’air idiot
on
a failli mourir
sous
les roues d’une auto
c’est
comme ça qu’il est mort
l’homme
qui aimait les femmes
et
le film a fini sur son enterrement
toutes
les femmes en noir
pleurant
sa mémoire
neuf
heures vingt-cinq
le
lendemain déjà
le
même ciel blanchâtre
fait
le jour ressembler
à
une vieille serpillière
les
voitures au-dehors
en
passant sur les flaques
projettent
les sons
d’une
chemise
qu’on
déchire
j’ai
retrouvé
ma
place
devant
l’écran
froid
la
poésie :
une
autoroute
construite
pour errer
au
péage c’est une heure
pour
écrire une page
chemin
faisant
on
ne rencontre personne
le
paysage défile
sans
vraiment bouger
à
la station service
il
n’y a que des ombres
pour
le steak tartare
il
faudra repasser
il
y avait un puits
au
fond du jardin
tous
les matins
on
allait
s’y
débarbouiller
j’avais
en
me lavant
des
frissons joyeux
qui
me reviennent
maintenant
juste
à l’instant
Paolo
est un ami
c’est
un Suisse portugais
il
m’a donné trois pulls
un
blouson
les
couleurs sont bizarres
les
cols extravagants
c’est
parfait pour mon look
qui
vient de nulle part
le
blouson est très chouette
il
me rappelle l’époque
où
j’ai débarqué en France
on
voyait Giscard à la télévijion
Le
Luron l’imitait
je
confondais le mot « glaçon »
avec
le mot « neige »
les
yaourts me faisaient vomir
les
chasses d’eau me faisaient peur
elles
cachaient
trop
bien
leur
mécanique
avant
d’être là
j’aimais
les choses simples
je
tuais les oiseaux
je
mangeais les lézards
je
pêchais les anguilles
une
ficelle suffisait
ici
à
Bruxelles
plus
rien ne m’étonne
je
mange des frites
et
des Frikandels
certains
coins me ramènent
illico
au Creusot
notamment
un grand parc
du
côté de Parklaan
aucune
grille ne l’enclôt
c’est
le parc de Forest
cette
nuit j’y étais
avec
la Taiwanaise
et
deux amis nouveaux
le
chemin dessinait
des
courbes sous les arbres
j’ai
cherché des yeux
sans
le dire à personne
le
château de la Verrerie
habité
autrefois
par
la famille Schneider
(prononcer
Schneidre
en
roulant le R)
moi
j’habite rue du Fort
pour
cinq jours encore
après
on verra
j'suis
un gars de Saint Gilles
je
traînerai encore là
Blanche Cendre m’a dit
je
reprends mon chez moi
elle
semblait gênée
il
fallait surtout pas
j’ai
aimé vivre chez elle
en
sa belle absence
on
a fait connaissance
sans
vraiment se voir
plus
tard je l’inviterai
pour
un Darjeeling
aux
senteurs du printemps
et
des neiges fondantes
de
l’Himalaya
dans
mon grand salon
baigné
de lumière
je
lui raconterai
comment
au
temps de l’enfance
j’ai
perdu une sœur
qui
avait sa douceur
en
guise de mairie
on
trouve ici
la
Maison Communale
tout
en haut de Barrière
un
bâtiment somptueux
impossible
de s'tromper
j’y
allais d’un pas ferme
mais
la pluie est tombée
j’ai
visé rue du Fort
mes
papiers attendront
je
suis un citoyen
qui
n’a plus de repères
je
paie mes loyers
avec
des francs français
les
francs belges
j’aime
beaucoup
on
se r’trouve très vite
avec
plein de billets
même
s’ils s’en vont plus vite
qu’ils
ne sont venus
à
l’agence d’intérim
on
veut des papiers belges
je
fais répéter
car
je ne comprends pas
mes
papiers sont français
je
viens de Paname
on
insiste gentiment
t’en
fais pas
à
la Maison Communale
on
t’en donnera
ça
fait déjà trois semaines
faudrait
que j’y aille
j’attends
le soleil
j’attends
le printemps
peut-être
même un été
qui
n’existe pas
pour
franchir la Barrière
faut
un cœur usé
un
souci moins grand
de
sa liberté
oh,
le ridicule ne tue pas
les
oiseaux exotiques
je
suis un enfant
mes
secrets sont du vent
Taka
est très belle
j'ai
envie de dire
que
pour elle je suis là
je
savais qu’elle était
une
fille de Saint-Gilles
aux
renseignements
une
nuit une voix
me
l’a dit
c’était
si l’on veut
mon
Annonciation
quand
je la vois ce matin
je
perds mon tempo
me
faisant à moi-même
un
croc-en-jambe burlesque
puis
je vais vers ma reine
comme
on va au trépas
les
nuages là-haut
amplifiant
tous mes gestes
je
calcule la distance
et
mesure mes pas
je
repense au jour
où
elle m’apparut
c’était à Paris
au
Théâtre de la Ville
sur
des mots de Handke
mon
auteur fatidique
Taka
dansait
au
sein de Rosas
se
cachait plutôt
parmi
les décors
ne
faisait rien
comme
les autres
on
eût dit
qu’elle
cherchait
à
se perdre
soudain
elle crie
une
colère de feu
les
planches brûlent
sous
ses pieds qui trépignent
c’est
il est vrai
une
formule consacrée
mais
je vous le jure
sur
la tête de mes mères
(oui,
j’en ai deux)
Paris
sentait la lave en fusion
il
fallut même toute l’eau
de
la Seine
pour
vaincre au plus vite
l’impensable
éruption
hum,
j’exagère à peine
ce
matin en tout cas
elle
m’a reconnu
elle
allait au supermarché
je
l’ai donc suivie
c’est
un champ de bataille
jonché
de cadavres
avec
sa coupe carrée
elle
ressemble à Jeanne d’Arc
je
ne la quitte pas d’une semelle
de
peur de mourir
les
flèches qui se perdent
m’étant
destinées
son
cabas bientôt
est
rempli de produits
je
ne l’aide pas
pour
une raison très sérieuse :
elle
a pour faire ses courses
un
style épique
elle
parcourt les rayons
un
par un au pas de charge
je
suis projeté dans un film muet
les
images sautent
c’est
une belle histoire
je
n’ai pas ma place
lui
dire ça en anglais
ne
fut pas facile
elle
a rigolé
de
mes enfantillages
je
crois qu’elle m’aime bien
et
c’est bien assez
j’ai
pensé la photographier
mais
ne l’ai pas fait
la
grande Taka au supermarché
ça
n’émeut que moi
un
peu plus tard
nous
sommes au Verschueren
elle
écrit son adresse
dans
mon carnet de notes
elle
boit un lait russe
c’est
du café au lait
je
bois du thé Tchaï
c’est
mon déjeuner
près
d’une heure se passe
mon
cœur s’est calmé
elle
sait faire la Tatin
c’est
un signe du destin
car
je suis moi aussi
un
as de la tarte renversée
elle
me dit d’autres choses
que
je garde pour moi
pour
me dire au revoir
elle
me fait deux bises
me
pincer pour le croire
je
n’y ai pas pensé
tout à l’heure
je
vais à la boutique
de
reprographie
on
attend de moi
un
bon à tirer
pour
mon premier livre
écrit
à Saint Gilles
photographe,
écrivain, éditeur
il
y a tout cela
dans
mon jeu de l’oisif
mon
livre s’appelle now.here
ça
se prononce nowhere
le
premier tirage sera
de
quarante exemplaires
il
y en aura un deuxième
je
l’espère pour bientôt
ça
veut dire que j’ai
en
projet de les vendre
ce
qui me fait en somme
un
quatrième métier :
libraire
(ambulant)
et
une vraie sensation
être
libre comme l’air
c’est
une pure fantaisie
je
dois bien l’admettre
écrire
c’est assez
faire
des photos presque trop
mais
j’ai des souvenirs
ces
derniers me harcèlent
les
apprivoiser n’est pas si aisé
comment
s’appelait-il
le
chien des voisins ?
il
a fini dans une casserole
pour
le manger
nous
n’étions que des hommes
j’étais
le plus jeune
du
haut de mes huit ans
mon
père m’avait emmené
sans
rien m’expliquer
ce
n’était pas la guerre
mais
ça y ressemblait
chaque
soir mon frère
quittait
la maison
très
vite disparaissant
allant
par les chemins
dans
la nuit le calme
un
jour
j’attrape
une poule
je
lui passe la corde
autour
du cou
elle
gesticule
tant
qu’elle peut
au
bout de la branche
elle
semble énervée
je
l’oublie une semaine
puis
je vais la chercher
des
vers la rongeaient
quelques
mois plus tôt
au
centre d’un cercle
d’une
assemblée muette
il
y a un homme mort
repêché
du Mékong
le
corps gorgé d’eau
je
n’ai pas vu son visage
lui
en restait-il un ?
son
odeur était forte
je
dis cela tranquillement
manière
pour moi
si
longtemps après
de
retenir encore
ma
respiration
son
odeur
était
celle
de
la poule
que
rongeaient
les
vers
affamés
l’alcool
brûle
mon
ventre
l’enfant
n’est
pas mort
Bruxelles
ne fait pas
plus
de bruit qu’un nuage
au
loin là-bas
les
nuages
de
Wang Wei
dans
la rue du Fort
les
couleurs sont éteintes
j’écris
sans comprendre
j’imagine
être un vieux
tout
me semble familier
même
la bave d’un chien
aperçu
au détour
d’une
rue sans nom
marchant
la queue basse
les
lèvres retroussées
je
viens d’un pays
qui
n’existe plus
puisque
mon père
est
mort
un
matin
il
m’assoit
sur
le porte-bagages
de
son vieux vélo
nous
avons roulé
à
travers le village
puis
nous avons longé
la
route des rizières
bientôt
fut
en vue
la
pointe
du
That
Luang
disparurent
pour
longtemps
les
paysages
familiers
de
ma tendre
enfance
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