Je cherche du travail, fanzine éphémère...

J'ai retrouvé le numéro 1,
daté du 14.01.01, dans un de mes cartons de déménagement... Une feuille A4
pliée en quatre.

Pour sa prochaine livraison, Je cherche du travail s’appellera peut-être
J’ai envie de vacances ou bien encore Bruxelles est une femme fatale qui n’a
tué personne. Pas de rubriques régulières, mais des mots se présentant tels
qu’ils viennent à l’esprit de leur auteur. Pour gagner du temps et économiser
l’argent (que nous n’avons pas), nous nous astreindrons à tout écrire d’une
seule traite. Il se peut donc que certaines fautes échappent au correcteur
d’orthographe de notre traitement de texte, et que le propos soit un peu
déconnecté de l’actualité. Voilà, il est trois heures du matin, Jacques m’a
coupé les cheveux. D’où vient que l’on se sente si bien quand on a les cheveux
fraîchement coupés ? Aujourd’hui,
c’est à dire hier, je n’ai
pas mis le nez dehors. Au réveil, je l’avais même sous la couette. Profiter de
l’instant du réveil est une des choses qui me rendent heureux. Ce que j’aime,
dans l’instant du réveil, c’est qu’il n’est pas vraiment ce qu’on appellerait
l’instant présent. En fait, ce que j’aime par dessus tout, c’est quand une
vérité relève autant de l’expérience abstraite que de l’expérience concrète.
Reste à savoir si le terme expérience saurait s’appliquer de la même manière à
ces deux ordres… de quoi au fait ? De phénomène, de perception, de
représentation, de vécu ? Enfant, il m’est arrivé de dire d’une montagne
qu’elle était aussi grande que l’immeuble d’en face. Cela a beaucoup fait rire
ma mère. Je ne suis pas sûr d’être en mesure, vingt-cinq ans après, de
comprendre pourquoi elle a ri. Bien, je cherche du travail, mais ce soir, je
serai à La Monnaie pour revoir Rain, la dernière création de Rosas, que j’ai
déjà eu la chance de voir le soir de la première. Pour ceux qui ne le savent
pas, c’est de la danse contemporaine. Pour ceux qui le savent et s’étonneraient
de ce que j’aie les moyens de me payer des billets d’entrée, je peux juste dire
qu’il y a dans la vie une explication pour tout. En tout cas, c’est neuf cents
frans pour ceux qui peuvent mettre la main au porte-monnaie. De Munt, donc.
Moi, je me contenterai de mettre mon porte-monnaie à la main. Dedans, il n’y a
que des papiers que je finirai un jour par jeter. Sauf les papiers d’identité,
bien sûr, ainsi que la carte de visite de Mme Dumas. Mme Dumas n’est pas
l’arrière-petite fille d’un écrivain célèbre, c’est ma conseillère financière.
Pourquoi je garde sa carte ? Peut-être pour avoir une vague idée de ce qu’est
l’éternité. Cela fait en effet une éternité que je n’ouvre plus les lettres
qu’elle m’envoie. J’espère aussi qu’un jour j’aurai le plaisir de lui annoncer
par téléphone que je vais virer cinquante millions d’euros sur mon compte. En
attendant, au début de chaque mois, je me dépêche de dépenser l’argent que la
banque n’a pas encore réussi à bloquer. C’est une pratique courante, aussi je
me permets d’en parler. Bref, ce soir, à La Monnaie, je vais voir de la danse.
Rain d’ATK avec la Reine Taka… Entre
un billet de cinéma et un repas, je
n’hésite pas. L’idéal est d’avoir les deux, mais quand le choix se présente, je
préfère ignorer ma faim. Evidemment, dans ces cas-là, il vaut

mieux être un cinéphile
averti. Parce que si le film est mauvais, ou s’il s’appelle Le festin de
babeth, alors on est foutu. Se méfier aussi des films chinois. Il y a toujours
des scènes de repas interminables qui se passent dans la cuisine. Ces scènes
sont redoutables en ce que la cuisine chinoise, en plus d’être savoureuse, est
également très photogénique : aspect laqué, fraîcheur des couleurs, pittoresque
des formes, etc. Sans oublier la puissance évocatrice des bruitages. Le bruit
de pluie des légumes qui cuisent dans la fournaise du wok peut vous vriller
l’estomac. Heureusement, je n’ai pas que des mauvais souvenirs de cinéphile
solitaire et affamé. Par exemple, j’ai vu L’odeur de la papaye verte avec la
femme que j’aimais et, après le film, nous sommes allés manger dans le meilleur
restaurant laotien de Paris. Plus tard, quand je suis devenu célibataire, j’ai
prisl’habitude d’enchaîner film chinois au MK2 (ancien 14 Juillet)-Beaubourg et
repas vite fait (avant le film) ou tranquille (après le film) au bouiboui
chinois de la rue Au Maire. Cet enchaînement n’a jamais posé de problème parce
qu’un repas dans cet endroit coûte deux fois moins cher qu’un billet de cinéma,
et parce que s’y jouait toujours une belle fusion entre le réel et la fiction. Pour la danse, c’est tout de suite
le prix de quatre repas. Autant
dire une grève de la faim. Comment faire ? Moi, je m’en sors parce que j’ai des
amis dans le milieu. Idem pour le théâtre et les concerts. Malheureusement, il
y a toujours des moments où personne ne peut m’aider. Alors, je trouve un
compromis. Je vais quand même au spectacle, et les jours suivants je me lève le
plus tard possible pour faire sauter un repas. Ou bien je mange macrobiotique,
ce qui tend d’ailleurs à devenir mon régime alimentaire normal. De cette
manière, j’ai mon compte de sommeil, mon content de culture, je mange
sainement, j’économise de l’argent, et je construis ma conscience citoyenne sur
cette exigence fondamentale : je mange ce que mon esprit réclame. Avant de
venir ici, j’étais à Paris où, de l’an nonante-et-un jusqu’à l’an deux mille,
j’ai exercé el métier d’instituteur. Auparavant, j’ai étudié les arts
plastiques, sept années durant, dans trois universités différentes :
Aix-en-Provence, Paris 8, Paris 4. Je ne suis pas venu à Bruxelles pour fuir
Paris. Le plus simple est de dire que j’ai dû quitter Paris parce que grande
était mon envie de venir vivre ici. Il en est de même du métier d’instituteur
que j’ai dû abandonner non par lassitude mais parce que grande était mon envie
de me consacrer à la photographie et à l’écriture, qui sont mes deux passions
principales. Je cherche du travail, et je ne veux pas qu’on se méprenne sur mon
compte. Surtout, je voudrais formuler le voeu que d’éventuels employeurs ne
soient pas effrayés 1) Par le fait que je puisse avoir des passions. 2) Par la
facilité que j’ai à écrire. 3) Par la singularité de ma démarche. J’ai trente
deux ans, cela ne peut être en rien une garantie de sérieux. Mais d’un point de
vue personnel, cela signifie que je n’ai pas de temps à perdre. Dès que j’aurai
fini d’écrire ce numéro de JCDT, je l’imprimerai en un certain nombre
d’exemplaires. Ensuite, pour économiser les timbres, j’irai à travers la ville
pour le distribuer. On aura une idée de ce que je suis disposé à faire, de ce
que je me sens capable de faire, de ce que j’ai envie de faire, etc. en prenant
connaissance de la liste (non exhaustive) suivante qui recense les lieux où
j’ai l’intention de me rendre : rédactions de journaux, agences de photo,
maisons de la culture, associations, maisons d’édition, galeries d’art
contemporain, théâtres, cinémas, cafés, boulangeries, magasins de vêtements,
agences de voyage, écoles de devoirs, hôpitaux, auberges de jeunesse, etc. Tous
ces lieux qui font que la vie est la vie. A Bruxelles comme ailleurs.
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